Ma Cévenne
Ô ma Cévenne, terre de mes ancêtres, âpre et chaude à la fois comme ses habitants, fière et farouche, conservatrice et révoltée, passionnée...
Ô ma Cévenne, avec tes pierres plates, grises, dures, roulées par les eaux ressurgies de tes rivières souterraines quand l’orage sévit brusquement, violemment, dantesque et impitoyable pour l’homme imprudent.
Ô ma Cévenne, avec tes sécheresses estivales, écrasée par l’immobilité de l’air et du temps, inondant le corps au moindre mouvement, et laissant un court répit à l’abri de la terrasse ou au creux d’un valat tourné vers le nord.
Ô ma Cévenne, avec tes portions de terres hermes ou de bois arrachés, jour après jour, sueur après sueur, à la pente de tes puechs (*) ou de tes réclavets (**), pour en tirer des bandes de vignes, d’arbres fruitiers et de rudimentaires potagers : la nourriture du lendemain, la survie, un espoir de profit qui permettra d’agrandir l’estau.
Ô ma Cévenne, avec tes murettes qui découpent la colline en larges escaliers et sautent aux yeux, orgueilleusement comme la richesse de la vallée, d’un hameau, d’un mas isolé, épinglé à la côte.
Ô ma Cévenne, avec tes mas accrochés, scellés au coteau, hauts et étroits comme des narthex aux pierres brunes se mordorant au soleil couchant, fortifiés par leurs caves en demi sous-sol, leurs terrasses en larges arcades et leurs appentis accolés en dégradé.
Ô ma Cévenne, avec tes demeures accueillant timidement et prudemment le visiteur par leur courette à demi-murée où trône le cœur de la vie : le puits ombragé par un mûrier ou un caroubier, quelques fleurettes rustiques, une ou deux marmites usagées garnies de géraniums finissent la décoration.
Ô ma Cévenne que j’aime du fond de ma mémoire, du fond de mes entrailles, ouvre-toi, accueille-moi, laisse-moi pousser le portillon qui clôt ce jardinet...
Là... voilà... traversons ce carré vert et bariolé, frappons à la vieille porte ternie par les intempéries... le loquet se soulève, le pêne grince... un visage raviné, buriné, mais sentant le frais, le cheveu bien tiré, vous salue avec réserve... échange timide de politesses ou accueil rayonnant selon le degré de connaissance.
Ô ma Cévenne, entrons puisqu’on nous y invite... suprême marque de confiance… allons échanger l’amitié…